Diffusé en septembre 2023, le numéro d’essai de Recherches dia-matérialistes a suscité des retours chaleureux parfois assortis de réactions sceptiques : R.d.-m. ne se montre-t-il pas trop optimiste sur le possible regain des Lumières communes alors que le fond « de l’ère » est aujourd’hui si ténébreux et nauséabond ? Et en effet, dans toute l’Europe, l’extrême droite nostalgique des Stepan Bandera, Philippe Pétain, Benito Mussolini et autre Adolf Hitler, est clairement passée à l’offensive alors qu’à l’échelle hexagonale, la loi Darmanin-Larcher-Le Pen (déc. 2023) institutionnalise la xénophobie d’Etat tout en signant l’arrêt de mort de l’universalisme républicain… Et comment en irait-il autrement alors que, du même geste1, le « Parlement » européen de Strasbourg, aussi russophobe et sinophobe qu’antisoviétique à retardement, s’emploie méthodiquement à criminaliser le communisme historique tout en banalisant les fascistes ? Tels ces aimables jeunes gens des milices ukrainiennes néonazies Aïdar, Pravy Sektor et Azov, dont les médias d’Etat de l’U.E.-O.T.A.N. aux prises avec l’Ours russe ont unanimement salué les exploits exterminateurs dans le Donbass (14 000 civils tués par les milices de Kiev rien qu’avant novembre 2022), et qui ont désormais tout loisir d’ouvrir des bureaux de recrutement dans notre beau pays « républicain » ! Qui ne voit du reste combien l’euro-bellicisme atlantique piloté par Washington, secondé par les militarismes allemand et japonais résurgents, et courtisé par le caniche élyséen, érode la paix mondiale en encerclant la Russie de la Baltique au Caucase, e strangulant Cuba socialiste et le Venezuela bolivarien, en harcelant la Chine populaire de Taiwan à la Péninsule coréenne, en assiégeant la République démocratique populaire de Corée, voire en soutenant peu discrètement le fasciste Netanyahou dans son entreprise génocidaire visant à la purification ethnique définitive de Gaza ? Cerise mortifère sur ce pudding étouffant, le Macronat appuyé par le PS et par les Euro-Ecologistes prétend hâter la dissolution de l’Etat-nation français (et des acquis sociaux, républicains et laïques qui lui sont liés2) dans un Etat impérial européen que Jean Jaurès dépeignait par avance dès 1913 comme un « césarisme monstrueux », Lénine précisant pour sa part dès 1915 que…
« … en régime capitaliste, des Etats-Unis d’Europe ne sauraient être qu’utopiques ou réactionnaires ».
Et de fait, la réaction idéologique passe à l’attaque sur tous les fronts idéologiques et culturels de ce que, déjà Gyorgy Lukàcs nommait « la destruction de la Raison »: regain irrationaliste du créationnisme et du néo-magisme, intégrismes religieux de toutes obédiences s’alimentant l’un l’autre de leurs surenchères rivales, écologie « profonde » substituant le dénigrement de l’humanité et de la science à la nécessaire résistance humaniste au périlleux dévoiement capitaliste des techniques émergentes comme l’I.A.… On voit même émerger de nos jours une forme de néopaganisme pseudo-écolo adonné au culte matriarcal de Sainte Gaïa auquel fait complémentairement contrepoint le regain mondial des idéologies patriarcales (islamistes, mais pas seulement), de l’Inde de Narendra Modi à la Bible Belt chère à Trump en passant par les fulminantes processions « chrétiennes » de Civitaset de ses nostalgiques de l’Ancien Régime…
S’arrêter à ce constat navrant serait toutefois manquer aux exigences que porte la rationalité dia-matérialiste. En effet, pour autant qu’elle résulte de l’aggravation généralisée de la crise capitaliste et de ses dispositifs pseudo-régulateurs (crise géopolitique de l’hégémonisme étatsunien, discrédit populaire profond de la « construction » européenne, retrait massif du consentement qu’apportaient les populations aux politiques capitalistes…), l’exacerbation des processus réactionnaires engendre et engendrera forcément, sinon d’emblée un grand retour des révolutions, du moins une importante et prometteuse « contre-contre-réaction ». Massivement, le Grand Sud (Amérique latine, Afrique, Sud-Est asiatique…) en voie d’arrimage au Grand Est eurasien rejette le suprémacisme impérial et crypto-racialiste de l’hégémon étatsunien comme le prouvent les votes à répétition récemment intervenus à l’Assemblée générale de l’O.N.U. (Cuba, Palestine…), ou encore la sommation juridiquement contraignante que vient d’adresser à Israël la Cour Internationale de Justice (C.I.J.) d’avoir à prévenir par tous moyens militaires, diplomatiques et humanitaires le génocide en marche à Gaza… Ainsi Washington et sa garde mondiale rapprochée israélienne, nippone et ouest-européenne se retrouvent-ils systématiquement au ban des nations et ne « tiennent »-ils plus à l’échelle géopolitique que par leur mainmise sur les armes et, avec de plus en plus de mal du reste, sur l’ainsi-dite « information ». Quant au mouvement ouvrier international un temps abasourdi par la contre-révolution antisoviétique des années 1990, il se réveille et, souvent rejoint par les masses paysannes, il passe peu à peu à la contre-offensive sur le terrain social : outre les salutaires éruptions ouvrières, estudiantines et agricoles qui ont secoué notre pays ces dernières années, les années 2022 et 2023 ont vu des grèves prolétariennes de masse parfois victorieuses (Inde, USA…) et quelquefois conduites par les communistes marxistes-léninistes (Inde, mais aussi… Grande-Bretagne !) déferler par vagues successives sur le monde capitaliste de Détroit à Dehli, de Dacca aux « maquilladoras » du Nord-Mexique et de Glasgow aux grandes villes du Québec ; en passant même parfois par la R.F.A., ce havre de moins en moins sûr de la collaboration des classes et de la prétendue « cogestion » social-démocrate…
S’agissant des sciences, le capitalisme continue certes à s’en méfier sourdement (ne nourrissent-elles pas à leur insu, quoiqu’objectivement – une dialectique matérialiste et un rationalisme critique spontanés dont la réaction mondiale a tout à redouter ?) même si, contradictoirement, la nécessité pour le capital de contrer la tendance structurelle du mode de production capitaliste à la baisse de ses taux de profit moyens contraint le grand patronat et les Etats bourgeois à financer peu ou prou la recherche tout en l’encadrant étroitement. De fait, d’immenses découvertes propres à nourrir l’élan de la rationalité empirique s’accumulent dans l’escarcelle des astrophysiciens-cosmologistes exploitant les observations de Hubble, du V.L.T. ou du nouveau télescope orbital géant James Webb (J.W.S.T.). Notre époque est aussi celle des micro-physiciens explorant la structure fine de la matière au moyen des méga-accélérateurs de hadrons, celle de l’exobiologie scrutant les origines terrestres et/ou non terrestres du vivant, celle de la génétique moléculaire scrutant et « ciselant » comme jamais le fonctionnement du génome, voire celle des neuroscientifiques traquant objectivement les mécanismes cérébraux de ces bastions de la subjectivité que sont l’émotion et de la conscience de soi : ce que nul être humain ne devrait avoir à redouter, bien au contraire, pour peu que les résultats attendus, comme ceux des sciences et techniques de l’information, de la cognition, de l’informatique-robotique et de l’intelligence artificielle, fussent vraiment mis au service du vivant et des humains par un socialisme-communisme de nouvelle génération faisant échec aux prédations antihumaines du capitalisme-hégémonisme-exterminisme actuel. Tant il est vrai que mieux connaître les déterminismes naturels et sociaux dans leur complexité ne peut qu’accroître notre emprise technico-cognitive sur eux et avec elle, notre liberté, notre humanité, et pour commencer notre longévité en bonne santé !
Encore faudrait-il pour cela que la recherche scientifique de notre époque pût enfin disposer d’une stratégie politico-philosophique qui fût à la hauteur des prodigieux développements techno-scientifiques actuels. Or, non seulement l’ancien matérialisme mécaniste ne peut plus, malgré ses mérites historiques, « faire le poids » de ce point de vue, non seulement le néopositivisme qui corsète idéologiquement l’épistémologie contemporaine ne peut-il que nourrir l’irrationalisme ambiant en nourrissant l’idée que le monde réel (si réel il y a !) est « inconnaissable en soi » (si bien que la science ne serait au final qu’une projection de nos structures mentales…), mais la guérilla permanente que mène la philosophie bourgeoise contre toute forme d’ontologie scientifique et contre toute approche tant soit peu dia-réaliste et dia-rationaliste du savoir, ne peut que faire le jeu des pires contre-offensives obscurantistes en abandonnant au « retour du religieux » le terrain de l’incontournable approche globale du devenir physico-cosmique, de l’évolution naturelle (planétologique, géologique et biologique) et de l’historicité humaine. Ce néopositivisme de plus en plus daté conduit ainsi trop de chercheurs à déclarer forfait sur la question culturellement la plus décisive, celle d’une approche authentiquement progressiste du sens. Aussi les militants du progrès social et les défenseurs de nouvelles Lumières communes devraient-ils rouvrir ensemble, ou tout du moins examiner sans préjugés négatifs, la perspective d’un matérialisme dialectique de nouvelle génération qui fût au cœur d’une contre-offensive mondiale de ces « lucioles » que le cinéaste italien Pasolini voyait déjà s’éteindre tristement l’une après l’autre à la fin des années 1970…
C’est à cette contre-attaque mondiale des « lucioles » et à ce « réarmement » des militants du mouvement populaire centré sur l’actualisation d’un matérialisme dialectique étroitement allié aux sciences que voudrait contribuer le présent bulletin qui, complémentaire de la rubrique Philosophie de la revue Etincelles et du site de recherche www.georges-gastaud.com, attend avec confiance, lectrices et lecteurs, vos retours, voire vos contributions. Et bien sûr, votre bon et efficace relais face à l’omertà académique et médiatique qui frappe les recherches dia-matérialistes !
1 Voir le trait d’égalité scandaleux qu’ont tracé la grande majorité des euro-parlementaires entre le Troisième Reich et son principal vainqueur militaire, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, en adoptant la Résolution du 16 septembre 2019, laquelle justifie les persécutions anticommunistes en Pologne et menace, de manière à peine voilée, de prohiber à une échelle continentale l’emblème ouvrier et paysan de l’U.R.S.S. (et du Mouvement communiste mondial) qui flotta victorieusement sur le Reichstag en avril 1945…
2 Il est vrai que, s’asseyant sur l’article II de la Loi de séparation de l’Etat et des Eglises (« la République ne reconnaît, ne subventionne ni ne salarie aucun culte », c’est pourtant clair !), E. Macron assiste ès qualités à une messe pontificale célébrée à Marseille avant d’organiser les prières de Hanouka dans l’enceinte de l’Elysée !