A PROPOS DES DECOUVERTES BOULEVERSANTES DU TELESCOPE ORBITAL JAMES WEBB (“JWST”)
Par Georges Gastaud, auteur de Lumières communes, traité de philosophie générale à la lumière du matérialisme dialectique, Delga (2019), et de Dialectique de la nature, vers un Grand Rebond (à paraître prochainement chez Delga).
Plus avide de précipitation sensationnaliste qu’encline au doute cartésien, une partie de la “grande presse” claironne à tous vents que les récentes observations du James Webb Spatial Telescope (le “J.W.S.T.”, la dernière merveille technologique de l’ESA et de la NASA truffée, soit dit en passant, d’optique française), invalident radicalement l’hypothèse du “big-bang” : c’est-à-dire la théorie cosmogonique largement reçue selon laquelle notre univers en expansion accélérée se serait formé (les créationnistes invétérés disent insidieusement: “créé”, c’est-à-dire généré à partir de rien!) il y a environ 13,8 milliards d’années. En effet, si cette théorie d’ores et déjà reliée à de nombreux faits majeurs, et que l’on nomme aussi le “modèle cosmologique standard”, constituait bien un reflet fidèle de la genèse cosmique, il ne devrait pas y avoir encore de galaxies nombreuses et fortement structurées quand on explore l’univers très ancien au moyen du J.W.S.T., lequel ratisse dans l’infrarouge profond. C’est-à-dire quand on recueille des observations portant sur une phase de l’univers proche de l’ainsi dit “big-bang”, une période où la matière universelle était à la fois extrêmement condensée et inimaginablement chaude. On sait en effet que, la vitesse de la lumière étant finie (300 000 km/s… seulement!) et mettant un certain temps, voire un “temps certain” à nous parvenir, regarder loin dans l’univers c’est du même coup regarder ancien; donc forcément découvrir… au présent (le nôtre) un état très ancien dudit Univers. Et c’est justement ce que fait le J. Webb qui utilise pour cela l’infrarouge profond: voyageant pour ainsi dire dans le passé très lointain, il visualise ainsi des formations cosmiques distantes, donc vieilles, de plus de 13,5 milliards d’années-lumières (l’année-lumière est la distance que la lumière parcourt en un an dans le vide). Telle est en effet la différence entre le J.W.S.T. et le télescope orbital Hubble qui observait surtout le ciel dans le spectre du visible. Or, surprise: quand on regarde par l’entremise du Webb les plus anciennes formations observées à ce jour, on découvre par dizaines des galaxies fort anciennes et parfaitement formées et, si l’on ose dire, parfaitement dessinées. Ce déphasage entre la théorie et les faits observés par J.W.S.T. semble ainsi infirmer la théorie, donc le “modèle standard” et la “théorie du big bang”. Un peu, comme dit suggestivement l’auteur des propos relayés ci-dessous par Ouest-France, comme si l’on découvrait un adolescent bien formé dans une couveuse à prématurés ! C’est là très exactement ce que l’épistémologue français Gaston Bachelard appelait naguère un “fait polémique”…
UN “BIG-BANG DU BIG-BANG”, VRAIMENT?
On verra aux réponses apportées ci-dessous à Ouest-France par un astrophysicien aussi réputé que méthodologiquement prudent, que les choses ne sont pas aussi tranchées, loin s’en faut, que ne l’affirment ceux qui se sont aussitôt exclamés que “le big-bang n’existe pas!” ou que “le modèle standard est par terre!”. A noter que, disant cela, les matérialistes que nous sommes, nous les marxistes, n’ont aucun penchant idéologique viscéral pour la théorie du big-bang qui renvoie initialement aux travaux pionniers extraordinaires du Belge génial et trop peu connu Georges Lemaître, le premier théoricien de l’ “Atome primitif” et de son hypothétique décomposition de type quasi radioactif donnant lieu à l’expansion cosmique universelle plus tard confirmée par Hubble*. En effet, cette théorie et ses succédanés modernes hautement élaborés ont été longtemps, et demeurent aujourd’hui, exploités par le créationnisme religieux et par les adeptes du “Dessein intelligent” pour faire croire aux âmes pies que l’Univers a été tiré du néant par le Fiat lux! divin (“Que la lumière soit, et la lumière fut!“, chap. 1 de la Bible, dit “La Genèse”) ; même si Lemaître, abbé de son état, mais avant tout scientifique honnête et fin lecteur du poète matérialiste antique Lucrèce, avait rapidement désavoué cette interprétation erronée du “big-bang” (cette dénomination n’étant du reste pas due à Lemaître) initialement avancée par la Papauté. Peut-être découvrira-t-on finalement, une fois les observations de J.W.S.T. affinées et correctement interprétées, qu’elles confirment le modèle standard tout en précisant certains de ses paramètres et en rectifiant telles autres de ses prédictions. Peut-être, et ce serait en effet une révolution épistémologique, faudra-t-il, soit abandonner l’idée du big-bang, soit en reculer sensiblement la datation dans le temps et donc, également, dans l’espace en vertu de la concordance déjà signalée entre “ancien” et “lointain”. En attendant, dire que la théorie du big-bang est morte et enterrée est au minimum prématuré. Les matérialistes ne doivent pas s’en affliger, d’une part parce que la vérité n’est ni jouissive ni attristante, elle est, tout bonnement, et il nous faut la ratifier telle qu’elle se présente car elle n’a cure de nous faire plaisir ou de nous chagriner. D’autre part parce qu’il est plus d’une façon d’interpréter le big-bang de manière matérialiste, voire dia-matérialiste, comme nous l’avons montré dans le tome III de Lumières communes.
UN SEISME EPISTEMOLOGIQUE EN MARCHE ?
Du reste, si elle était finalement confirmée/affinée dans ses grandes lignes et qu’il faille donc renvoyer le devenir cosmique à une forme de point-origine (relative et non absolue: à une transformation plus qu’à une “création”), les matérialistes – qui n’ont pas encore tous pris, de très loin s’en faut, la mesure de cet aspect révolutionnaire du développement scientifique – devraient prendre acte également de la révolution scientifique, voire ontologique (= relative à l’étude de l’être), que comporte en droit ce renvoi à l'”atome primitif”, pour reprendre l’expression de Lemaître. Si les choses se sont grosso modo déroulées selon ce schéma évolutionniste rétrospectif, cela signifie qu’à un instant critique de son devenir global passé, le cosmos était concentré, ou tendait à se concentrer en un point (sans doute sans y parvenir car les lois quantiques se mettent à jouer intensément au dessous d’une certaine échelle: par ex., la très dialectique théorie dite “physique quantique à boucles”, encore partiellement spéculative et promue notamment par les astrophysiciens Aurélien Barrau et Carlo Rovelli, prévoit que survienne alors un “grand rebond” de l’Univers); dans ces condtions, physique de l’infime et physique du tout tendent à fusionner, comme tendent à fusionner réellement, cosmogoniquement, les objets respectifs qu’étudient respectivement ces deux dimensions inséparables de la physique qui sont encore aujourd’hui très divergentes dans leur apparat conceptuel : les notions de cosmos, d’élément(s) physique(s) et de de nature (ensemble de lois cohérent) comme l’entrevoyait déjà le physicien marxisant Gilles Cohen-Tannoudji. Non seulement s’en suit alors une séisme épistémique majeur qui nous semble déjà largement ébauché (on ne peut d’ores et déjà plus expliquer séparément l’émergence des méga-formations cosmiques et celle des micro-formations de la physique des particules), mais les rapports structurels de la science cosmophysique et de la philosophie sont à leur tour bouleversés en droit ; car la “matière” cesse alors d’être une abstraction inhérente aux corps isolés les plus divers (la matérialité des corps et des interactions), elle devient un objet singulier et total à la fois, une réalité tendanciellement unifiée qui relève à la fois du pensé (ce que Kant appelait le “noumène”) et du domaine empirique (ce qu’il appelait le “phénomène”). Ce qui assoit fondamentalement l’espace théorique d’une ontologie scientifique rapprochant très solidement la philosophie dia-matérialiste, ce matérialisme dialectique de nouvelle génération dont il nous semble que la science moderne est grosse, et la science d’observation la plus pointue (il faudrait aussi évoquer celle qui s’élabore à l’aide des accélérateurs de hadrons) au grand dam des mesquineries positivistes et/ou des pseudo vertiges obscurantins de la philosophie bourgeoise actuelle. Laquelle se partage en positivisme niant le réalisme des sciences, et en ontologie mystique et irrationaliste telle qu’elle est issue de Kierkegaard, de Bergson ou de Heidegger.
CHANGER DE FORME POUR TENIR LE CAP DU MATERIALISME ET DU RATIONALISME
Ces développement scientifiques impétueux, essentiels pour l’avenir des Lumières modernes et pour la reconquête d’une “hégémonie culturelle progressiste” indispensable aux révolutions populaires à venir, sont à suivre de près dans les prochains mois car tout ira désormais très vite. Nous ne tomberons pas pour autant dans le dogmatisme naïf de la période jdanovienne où, sous couvert de “science prolétarienne” (sic) s’opposant à la “science bourgeoise”, des marxistes passablement présomptueux se comportant en nouveaux théologiens s’autorisaient à dire aux savants ce qu’ils devaient découvrir et ce qu’ils devraient s’interdire de voir. Comme en avait au contraire averti Friedrich Engels, “à chaque découverte faisant époque, le matérialisme doit changer de forme“, lui qui pose seulement en principe, à l’encontre du créationnisme religieux et du néomagisme à nouveau très “tendance” dans nos sociétés capitalistes déboussolées, que “rien ne naît de rien, rien ne retourne au néant” (Lucrèce), que “rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme” (Lavoisier) et que “il n’y a pas plus de matière sans mouvement qu’il n’existe de mouvement sans matière” (Engels). Ou, pour le dire aussi poétiquement que ne le faisait Héraclite d’Ephèse (VIème siècle avant J.-C.), fondateur antique de la dialectique matérialiste, “le monde est un feu permanent qui s’allume et s’éteint avec mesure“. Bref, l’univers est matière en devenir et ce devenir est rationnellement réglé (il rebondit “avec mesure”, écrit Héraclite), voire mathématisable dirions-nous aujourd’hui. C’est suffisant en première instance pour écarter à la fois les théories idéalistes-positivistes bourgeoises de la connaissance qui déclarent le monde “alogique” ou “inconnaissable en soi”, et les ontologies mystiques qui rabattent l’être, le temps et l’historicité sur une acception impalpable de la Durée et/ou sur un “Dasein” définitivement angoissant, ces asiles inexpugnables de l’ignorance !