Par Georges Gastaud, auteur des livres “Lumières communes” et “Dialectique de la nature : vers un grand rebond” (à paraître chez Delga)
Face au problème vital que constitue pour l’humanité la crise environnementale en marche, les communistes et tous ceux qui se réclament d’une analyse marxiste de l’histoire peuvent commettre deux sortes d’erreur théorico-politique :
– la plus grave est le déni, l’idée fausse que cette “prétendue” crise ne serait qu’une diversion des écolos bourgeois pour détourner les prolétaires du combat social tout en justifiant la destruction de l’industrie française. Le Prcf, qui a relancé quasiment tout seul la bataille idéologique du “produire en France” quand le PCF lui a tourné le dos (années 2000), et qui n’a jamais renié le combat communiste pour un progrès des forces productives remises au service de l’homme, est évidemment le dernier à disculper les Verts de leurs turpitudes politiques au service de l’impérialisme atlantique et de l’euro-casse de notre industrie; pourtant, ce serait une faute grossière, voire primitive, que de confondre la juste cause environnementaliste avec l’exploitation idéologique antinationale et antiouvriere qu’en font les Verts. Il faut au contraire rattacher l’énorme crise environnementale actuelle à la dimension exterministe du capitalisme moderne et montrer que le développement dynamique des forces productives n’est pas incompatible avec la sauvegarde d’un environnement sain, mais bien avec le maintien des rapports de classes encore très barbares propre au capitalisme-imperialisme.
L’erreur symétrique consiste à diluer l’objectif communiste dans le combat écolo, à substituer l’ “éco-socialisme” petit-bourgeois au communisme prolétarien et à décrier le développement des sciences et des techniques alors même que 70% au moins des humains vivants sont hors d’état de satisfaire véritablement leurs besoins essentiels: nourriture, logement, transports, chauffage et éclairage, soins médicaux, instruction et culture, etc.
Il est impossible de détailler ici l’argumentation proposée au tome 4 du livre “Lumières communes” ou dans le “Manifeste franchement communiste pour l’environnement”. Qu’il suffise ici de rappeler les points suivants :
1) la crise écologique est un aspect majeur de l’orientation exterministe du capitalisme contemporain et elle exprime sur le terrain environnemental le fait qu’en tous domaines, militaro-nucléaire, mais aussi culturel et sociétal, l’obsolète mode de production capitaliste est devenu, au moins depuis Auschwitz et Hiroshima, incompatible avec la survie de l’humanité, si ce n’est avec celle du vivant dans son ensemble, du moins sur notre Terre.
Des lors, si un peu d’intérêt pour l’écologie détourne du combat anticapitaliste et anti-impérialiste, beaucoup d’intérêt pour l’environnement y ramène, et de la manière la plus centrale qui soit puisqu’il sera impossible de résoudre la crise environnementale sans abolir l’exploitation capitaliste, n’en déplaise aux illusionnistes du ” capitalisme vert” comme Jadot et Cie.
2) la dialectique de la nature chère à Friedrich Engels a ceci d’important du point de vue politique qu’elle permet de situer les deux combats convergents, combat pour l’environnement et engagement pour la société sans classes, comme deux aspects de ce moment charnière du développement général de la nature en tant qu’il détermine et englobe en dernière instance, d’un point de vue dia-matérialiste, le développement historique lui-même. Certes le développement historique de la production apparaît en première instance comme le contraire direct du développement naturel. Et à ce premier niveau, la “culture”, qui produit l’outillage, l’artifice, le projet conscient et l’héritage humains, s’oppose bel et bien à la “nature”, domaine réservé de l’évolution spontanée et de l’hérédité aveugle. Mais si l’on examine les choses à fond, on s’aperçoit que la culture, et son noyau dur, le travail humain (dont le matérialisme historique reconnaît la centralité dans l’organisation de la société), sont un produit dérivé de l’évolution naturelle. C’est ce que note d’emblée L’Idéologie allemande, le livre fondateur tout à la fois du matérialisme dialectique, de la dialectique de la nature et du matérialisme historique : “les hommes commencent à se distinguer des animaux quand ils commencent à produire leurs moyens d’existence, PAS EN AVANT QUI RÉSULTE DE LEUR ORGANISATION CORPORELLE”, écrivent Marx et Engels qui associent inextricablement l’approche dia-matérialiste du devenir naturel à l’étude matérialiste de l’histoire humaine. Et de préciser aussitôt que ce développement historique est d’abord durement soumis à la nature qui, initialement, domine la société humaine émergente de la tête et des épaules, ce qu’exprime le primat culturel initialement universel des religions de la nature, lesquelles divinisent le soleil, l’océan, les fauves, etc.
Les choses tendent à s’inverser avec l’avènement des Temps modernes et de l’hégémonie croissante de l’industrie capitaliste en partie fondée sur le primat des sciences et des techniques. On se souvient de la phrase révolutionnaire de Descartes invitant l’homme, dans le Discours de la méthode, à se rendre “comme maître et possesseur de la nature” au moyen de la mathématique, de la mécanique et de la médecine nouvelle.
Mais l’analyse dialectique de la contradiction nature/culture et de son dépassement communiste ne s’arrête pas là. En réalité, comme y insiste Marx dans Le Capital, le capitalisme est terriblement contradictoire. Pas seulement parce qu’il “n’enfante la richesse qu’en épuisant ses deux sources, la Terre et le travailleur”, mais parce que, derrière sa façade de rationalité scientifique, la société bourgeoise reste fondamentalement le “règne de la nécessité”, celui de concurrence aveugle, inséparable de la propriété privée des moyens de production, voire de la “guerre de tous contre tous” dénoncée par Hobbes.
Ajoutons que tout cela est porté à la puissance P par la phase impérialiste du capitalisme dont le “dernier mot” est, selon Lénine. “le trust orienté vers l’extermination”. Bref, l’asociale société capitaliste ne domine (en apparence) la nature hors d’elle-même qu’en laissant symétriquement la nature dominer à l’intérieur même de la société sous la forme de la loi de la jungle destructrice à la fois de l’homme et de son environnement.
Le communisme est alors la seule issue logique possible qui permette de réconcilier l’homme et son environnement en instaurant ce que Marx appelle le “règne de la liberté”, c’est à dire un mode de production enfin pleinement rationnel où les hommes se rendent collectivement maîtres de leur devenir en accédant au statut de “producteurs associés” (Marx) ou de “coopérateurs civilisés” (Lénine). L’élément central de cette nouvelle phase de l’histoire humaine est la socialisation des moyens de production et la planification démocratique et scientifiquement instruite du développement humain qu’elle rend structurellement possible. Et avec lui la relance à une large échelle des forces productives en tant qu’elles sont le lieu par excellence de la contradiction nature/culture, moteur fondamental du devenir à la fois historique et naturel du travail humain.
Il s’agit là d’une gigantesque négation de la négation qui mène de la domination initiale de la nature sur la culture à la domination SAUVAGE et simplement inversée du capitalisme sur la biosphère, enfin à la double révolution ontologique que constituerait le communisme comme civilisation/des-ensauvagement de la société, mais aussi comme culture faisant droit à l’intérieur d’elle même, par la démocratie la plus large, par la science, par la planification et par le partage des lumières, à la sauvegarde instruite et tournée vers l’avenir, voire à la reconstruction de l’environnement humain.
On est alors bien loin de la problématique réactionnaire de la décroissance, ainsi que de la problématique inverse et petit-bras d’une production communiste future platement devenue éco-compatible. La production communiste de l’avenir devra plutôt mettre au centre de son propre déploiement la reproduction scientifiquement organisée de notre environnement. Tâche socialement énorme que celle consistant à rendre à l’homme un air respirable, des océans poissonneux, une énergie propre, des sols à nouveau féconds, etc. C’est du reste ce que médite sous une forme fictionnelle et anticipatrice la thématique, que nous avons examinée dans un autre article, de la terraformation de la planète Mars tant il est vrai que, selon le mot de Marx, “l’humanité ne se pose jamais que des problèmes qu’elle peut résoudre”…
Bref un peu de communisme éloigne de l’écologie, mais un communisme resitue dans la longue durée des dialectiques naturelles embrasse en profondeur les problématiques écologiques en écartant la double tentation d’un productivisme bourgeois qui tourne de plus en plus au destructivisme, voire à l’inquiétant transhumanisme, et d’une conception obscurantiste d’un “retour à la nature”, voire d’un “retour à la terre” néo-petainiste et foncièrement négateur d’industrie, de science, de classe ouvrière, de nation productive et d’humanité pensante.