Georges Gastaud, mai 2024

Le texte que l’on va parcourir ne porte pas l’ambition de proposer une étude détaillée de cette thématique délicate qui touche, conceptuellement, aux questions fondamentales de l’anthropologie, et socio-politiquement, à la dialectique d’ensemble des interactions complexes et entremêlées entre émancipation féminine et émancipation du prolétariat en général. Il urge pourtant de rappeler certaines données de base de l’approche matérialiste des concepts de sexe et de genre si l’on veut éviter deux aberrations symétriques :

  • celle qui consiste à rejeter en bloc comme « petite-bourgeoises » les études de genre (pour partie inspirées, après un fort détour passablement déformant via les U.S.A., du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir) ; stérilement recroquevillée sur le plat constat génétique et anatomique selon lequel il existe évidemment deux sexes chez Homo sapiens, cette approche anti-genre aboutit au déni du fait, non moins patent pourtant, qu’il existe en toute société et à toute époque une construction socio-historique, voire idéologique et symbolique du (et des) « genre(s) »…

… et

  • celle qui, symétriquement, consiste à mettre les communistes à la traîne du courant qui domine présentement les études de genre (Gender Studies), un courant dont c’est peu dire qu’il est largement étranger, pour ne pas dire hostile, aux problématiques marxistes et prolétariennes1; ce qui conduit souvent, par ex. dans certains congrès syndicaux du S.N.E.S., de la F.S.U. ou de la C.G.T., à effacer ridiculement de leurs statuts respectifs toute référence aux sexes proprement dits (comme s’il s’agissait là d’un gros mot !) ; avec à la clé, d’aberrantes conséquences sociopolitiques et socioculturelles, voire militantes, organisationnelles, et, bien plus gravement, anthropologiques

N’en déplaise à ceux qui, au nom de la « modernité », dénigrent la remarquable recherche anthropologique proposée par Engels dans son étude classique intitulée L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, et qui, dans la foulée, dédaignent tout autant l’effort théorique et militant de l’éminente marxiste allemande Clara Zetkin et, à sa suite, de l’Internationale communiste et des P.C. nationaux, dont le PCF, pour articuler sans les confondre l’émancipation nationale (anti-impérialiste), l’émancipation sociale (anticapitaliste et antiféodale) et l’émancipation féminine (anti-patriarcale), les fondateurs du marxisme ont d’emblée jeté les bases, non certes d’une théorie achevée, mais d’une approche matérialiste équilibrée des rapports entre sexe biologique et genre socioculturel, et bien plus globalement encore, entre « nature » et « culture » telles qu’elles s’articulent par l’entremise du travail et du mode de production. Le matérialisme historique a donc incidemment fourni des outils conceptuels pour critiquer radicalement ce que comportent d’unilatéral les positionnements actuellement prédominants sur le sujet qui nous occupe : tandis que les uns nient ou minimisent, à des fins réactionnaires, et à partir de positions biologisantes2 et essentialistes, l’existence même des genres (« un homme est un homme, une femme est une femme », déclare ainsi subtilement V. Poutine !), les autres relativisent à l’excès3, voire comptent pour rien, l’existence même des sexes biologiques dès lors qu’ils durcissent à l’envi la flamboyante affirmation (souvent mal comprise, quand elle n’est pas prise au premier degré !)de Simone de Beauvoir selon laquelle « on ne naît pas femme, on le devient »4. Cela étant posé, nous examinerons ci-dessous à grands traits :

  1. La dialectique marxiste du naturel et du culturel et sa prise en compte spécifique dans la théorie engelsienne des rapports historiques entre les deux sexes
  2. À cette aune, les insuffisances symétriques des approches unilatéralement sexualistes ou genristes de la question féminine – Secondairement, car tel n’est aucunement notre sujet principal ici, nous reviendrons sur les conditions d’une critique ajustée de l’homophobie et de la transphobie.
  3. Nous élargirons la problématique finale en étudiant une question qui vient du reste à maturité aussi dans d’autres champs que celui de l’émancipation féminine (dans le champ bioéthique notamment, mais aussi dans celui de la critique de l’eugénisme et du « transhumanisme ») :

1 C’est ainsi que procèdent ordinairement la direction du P.C.F.-P.G.E., toujours à la remorque des modes idéologiques, ainsi que L.F.I., E.E.L.V., le P.S., certains groupes gauchistes et, à leur suite, les états-majors pesamment conformistes de la C.G.T., de la F.S.U., de S.U.D.-Solidaires, etc. 

2 Ne pas confondre la biologie, cette science établie, avec le biologisme, cette idéologie réactionnaire, pas plus qu’il ne faut confondre le concept d’essence, qui a toute sa place dans une logique dia-matérialiste, avec l’essentialisme qui dévoie ce concept à des fins racialistes ou machistes permettant de parler de « la » femme ou de l’« Africain » en faisant abstraction de l’historicité des modes d’existence humains réellement existants. 

3 « Le sexe est généralement une catégorie attribuée aux enfants qui a de l’importance dans les domaines médical et juridique », écrit ainsi Judith Butler, la référence majeure des Gender Studies made in U.S.A… En réalité, cette définition dénuée de rigueur scientifique fait silence sur le fait premier que, avant d’être une « catégorie », qui plus est « attribuée » par on ne sait qui et l’on ne sait sur quel critère « aux enfants » (seulement « aux enfants » ?), et d’avoir une « importance dans les domaines médical et juridique » (ah bon, les sexes n’ont pas aussi, un tout petit peu, une certaine importance dans la reproduction de certaines espèces biologiques ?), la sexuation est un fait biologique fort relevant du constat et qui n’en existerait pas moins par elle-même chez l’homme, matériellement et objectivement, comme c’est le cas chez nombre d’espèces animales et végétales sexuées, si personne n’ « attribuait » ceci ou cela à tel ou tel individu, fût-il un « enfant »… 

4 Beauvoir n’a jamais sombré dans le délirant négationnisme antibiologique désormais à la mode. Dans Le Deuxième sexe, elle écrit par ex. : « Les données biologiques sont d’une extrême importance, elles jouent, dans l’histoire des femmes, un rôle de premier plan, elles sont un élément essentiel de la situation ; dans toutes nos descriptions ultérieures, nous aurons à nous y référer. Car le corps étant l’instrument de notre prise sur le monde, le monde se présente autrement selon que qu’il est appréhendé d’une manière ou d’une autre. C’est pourquoi nous les avons si longuement étudiées. Elles sont une des clés qui permettent de comprendre la femme. Mais ce que nous refusons, c’est l’idée qu’elles constituent pour elle un destin figé. Elles ne suffisent pas à définir une hiérarchie des sexes ».

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