Par Georges Gastaud, auteur de Sagesse de la révolution, Temps des cerises, 2011.

Face aux noires nuées qui, à l’initiative de l’hégémonisme planétaire euro-israélo-étatsunien, s’accumulent rapidement de la Baltique à la Corée et du Donbass à Taiwan en passant par l’Iran et Gaza, il existe plusieurs stratégies personnelles pour “tenir le coup” et “garder le moral” comme c’est notre impérieux devoir à tous.La première stratégie n’est autre, paradoxalement, qu’un fatalisme teinté de pessimisme noir: “tout est foutu!”, “on y va tout droit!”, “c’est plié!“… Il suffirait alors d’éteindre la télé et de “cueillir le jour” pendant qu’il en est temps comme le conseillait  jadis un poète latin pas si épicurien que cela. Mais outre que le pire n’est pas toujours sûr et qu’il est devenu carrément impossible de se soustraire au bruit du monde à notre époque d’ultra-médiatisation tonitruante, cette stratégie de “gestion mentale” est aussi erronée politiquement que 

moralement veule.Erronée, car, comme le disait Brecht, “si tu ne participes pas au combat, tu partageras la défaite et tu finiras même par servir ton ennemi“. Immorale aussi, car cette lâche attitude consiste à laisser les copains tenir seuls le front pendant que, dans leur dos, de ludiques déserteurs leur serinent : “laisse tomber, tu te bats pour rien“!

La seconde stratégie mentale relève du rassurisme à bon marché. Comme tout un chacun, l’auteur de ces lignes aime aussi entendre de bonnes nouvelles et il se réfère volontiers, pour contrebalancer les mensonges des médias dominants, à tel ou tel site alternatif où de courageux stratèges et autres fins géopolitistes ramant à contre-courant rectifient à bon escient l’information. Le malheur, c’est que, trop souvent, ces analystes vendent les plumes impériales de l’Aigle euro-américaine (et celles de ses bras armés ukro-bandériste, israélien et autres!) avant de l’avoir tuée, et même avant de l’avoir sérieusement blessée. On peut certes constater les reculs quotidiens du “Trident” euro-ukro-otanien dans le Donbass et penser légitimement, comme l’a toujours fait l’auteur de ces lignes, que l’avenir reste aux peuples qui contestent l’hégémonisme euro-atlantique, que les BRICS sont et seront de plus en plus ralliés par des milliards d’humains, voire que les luttes du prolétariat international sont appelées à prendre de plus en plus d’élan face à un capitalisme de plus en plus mortifère. Bref, on peut raisonnablement estimer que, à moyen et à long terme, “l’avenir appartient aux révolutionnaires” comme le clamait jadis avec raison l’Internationale communiste présidée par Georges Dimitrov… Seulement, pour parvenir à cet état béni, encore faut-il s’assurer d’abord que le moyen et le long termes… soient, autrement dit qu’ils n’aient pas été entretemps, soit annihilés, soit obérés ou pervertis par un court terme menaçant qui, sur fond de fascisation galopante de l’Europe et des USA, de marche à la guerre mondiale et de mise au pas génocidaire des peuples rétifs, promet aux Etats récalcitrants le déluge de mort qui s’est déjà abattu, pour l’exemple, sur Gaza et la Cisjordanie avant de saigner à blanc Beyrouth, Damas et désormais, Téhéran. Encore faut-il aussi que les Etats appartenant à l’Axe contre-hégémonique (un Axe encore virtuel sur bien des plans) se tiennent solidement les coudes, politiquement, économiquement, voire militairement, du Dniepr au Détroit de Taiwan et d’Ispahan à Séoul. Et sans oublier non plus de soutenir pour du bon Caracas, La Havane, Kinshasa et Niamey strangulés par l’impérialisme occidental et ses fantoches… Faute d’une tel Dôme de solidarité, l’impérialisme US et son belliqueux poisson-pilote européen (Macron en tête!) n’auront plus qu’à continuer d’appliquer la vieille tactique qui permit aux frères Horaces de liquider les frères Curiaces en les séparant pour les tuer tour à tour; lesdits “Curiaces” s’appelant aujourd’hui Russie, Chine, Iran, Corée populaire, mais aussi défunte Syrie souveraine, Cuba socialiste, peuple palestinien, régime anti-impérialiste burkinabé, etc. 

En outre, à supposer que l’hégémonisme euro-américain soit  battu “régionalement”, comme cela pourrait être prochainement le cas de Kharkov à Odessa mis sous pression par l’armée russe, encore faut-il que ledit hégémonisme soit aussi mis hors d’état de recourir, continentalement ou globalement, afin de conjurer sa défaite locale pouvant devenir globale, à l’énorme stock fuséo-nucléaire dont il dispose toujours. Avec désormais l’espoir sans doute illusoire (mais l’illusion et l’irrationalité sont des traits objectifs des empires déclinants!) de parer aux représailles russes ou chinoises à l’aide d’un prétendu “Dome d’or” antimissiles déjà annoncé par Trump. On rétorquera alors que le recours au feu nucléaire par l’impérialisme US serait impossible vu qu’il provoquerait l’annihilation réciproque des belligérants. On objectera aussi que, en 83/84, quand le monde est passé à un cheveu de la guerre nucléaire lors de la “crise des euromissiles” provoquée par Reagan à l’encontre de l’URSS, la confrontation nucléaire n’a finalement pas eu lieu, pas plus qu’elle n’eut finalement lieu en 62 lors de l’ainsi-dite “crise des fusées de Cuba”. Je répondrai que ce type de sécurisation mentale ne devrait hélas rassurer personne, et surtout pas des révolutionnaires conséquents sachant un peu manier la dialectique matérialiste. D’une part en effet, cette lecture rassurante de l’avenir proche sous-estime totalement, comme la plupart des “marxistes” (Juquin, Marchais ou Berlinguer (mais certes pas Andropov, ni Castro !) le faisaient déjà en 83, le caractère profondément réactionnaire, obscurantiste, fascisant et proprement exterministe d’un système capitaliste archi-pourrissant dont l’hitlérisme avait déjà donné un terrible avant-goût continental il y a sept décennies (2). Déjà dans les années 80, la réaction allemande morbidement avide d’accueillir les fusées Pershing sur le sol germain ne craignait pas de s’exclamer lugubrement “plutôt morts que rouges!” pendant que la  “gauche” euro-atlantiste française, alors personnifiée par le “nouveau philosophe” André Glucksmann, osait carrément écrire : “je préfère succomber avec mon enfant que j’aime dans un échange de Pershing et de SS 20 plutôt que l’imaginer entrainé vers quelque Sibérie planétaire“; dans son livre La force du vertige, le même A. Glucksmann, papa d’un autre belliciste bien connu, osait même conseiller à l’Occident de prendre le risque d’une “seconde mort de l’humanité”, voire de sa “disparition exhaustive”, afin de liquider l’URSS (pardon: la “Sibérie planétaire”!). Et certes, le choc nucléaire n’a pas eu lieu en 83/86, mais cela est-il sans rapport avec le fait qu’à l’époque, le pouvoir, les communistes et le peuple soviétiques soumis à une énorme pression militaro-idéologico-économique de la part de l’Occident, ont cru se sauver, eux qui gardaient en mémoire leurs 27 millions de morts de la seconde Guerre, en basculant dans le social-pacifisme capitulard que leur vendait, sous le nom de “nouvelle pensée politique”, le super-liquidateur Gorbatchev? Or ce basculement idéologique majeur s’est vite traduit par cette “bricole” historique que furent le triomphe de la contre-révolution capitaliste de Berlin à Moscou, et à sa suite, le rétablissement quasi mondial, à quelques “poches” de résistance près, d’une exploitation capitaliste mondialement renforcée, mâtinée d’unilatéralisme US et de défaite de classe mondiale pour le camp du Travail, des peuples et de la paix? 

Ajoutons que la capitulation en rase campagne de Gorbatchev, préalablement corsée par la livraison à l’ennemi de classe de la RDA et du camp socialiste européen, ne s’est nullement traduite par l’avènement de “la paix” mondiale, mais, comme il fallait s’y attendre, par un terrible “reculer pour encore plus mal sauter” dont on voit aujourd’hui les redoutables effets planétaires: bref l’humanité et le monde du travail n’ont pas encore fini de payer la manière catastrophique dont s’est en fait conclue la crise des euromissiles de 84: par un tournant contre-révolutionnaire mondial, par la victoire dévastatrice de l’hyper-puissance étatsunienne, par l’isolement de Cuba, du Vietnam socialiste et de la Corée populaire, par les guerres sans fin contre la Yougoslavie, l’Irak, etc., par la tentative avortée de putsch anticommuniste de Tiananmen, par la torture sans fin du peuple palestinien, par une forme d’exterminisme à petit feu pour les peuples du Sud (dont témoignent les migrations de masse et les noyades en Méditerranée) et par la constitution en Europe même, sur les ruines politiques du camp socialiste, d’un empire euro-atlantique en expansion continue vers l’Est. Un empire rejouant à l’envers le film de 1945,et  où l’impérialisme allemand revigoré parle sans honte de prendre sa revanche sur Russie avant 2030 pendant que l’UE-OTAN affiche désormais impudiquement son alliance russophobe avec les pires néo-nazis baltes et ukrainiens… 

Bref, ceux qui pratiquent le rassurisme à bon compte ne peuvent le faire, hélas, que parce qu’ils n’ont rien compris, ni au fait que l’exterminisme est le stade suprême du capitalisme-impérialisme “moderne” (en clair, que le capitalisme au bout du rouleau et dominé par l’Axe Washington-Berlin est amené à faire chanter militairement toute l’humanité pour tenter de conserver son hégémonie), ni au fait que la “perestroïka” de Gorbatchev-Eltsine s’est conclue sur un virage contre-révolutionnaire mondial, ni au fait qu’il existe une parfaite continuité politique entre exterminisme capitaliste et contre-révolution mondiale, chacun des deux termes prolongeant l’autre par d’autres moyens, tantôt politiques et tantôt militaires, l’obscurantisme croissant du système servant de lien ténébreux entre les deux aspects de cette réaction sans lignes rouges. Quand par ex. M. Sylvain Ferreira explique sur Géopolitique en direct qu’il “ne croit pas” à la guerre nucléaire en 2025 parce qu’en 62 ou en 84 elle n’a finalement pas eu lieu, il ne saisit pas – et c’est au fond normal vu qu’il ne dispose pas de l’outil d’analyse marxiste – , d’une part, que le capitalisme de ces deux périodes antérieures était moins dégénéré socialement que ne l’est l’actuel (il suffit de comparer Kennedy à Trump pour mesurer la différence!), d’autre part que l’exterminisme a bel et bien fonctionné efficacement en 84: en effet, sans l’énorme pression militaire, idéologique et économique alors exercée par l’impérialisme occidental sur le PCUS et sur le peuple soviétique, un dirigeant aussi médiocre que Gorbatchev, qui promettait aux Soviétiques la paix universelle pour prix de l’abandon du socialisme (1), n’aurait pas eu la moindre chance de l’emporter sur ses rivaux plus “orthodoxes”, de Mikhaïl Romanov à Egor Ligatchev. Sans parler de ce qu’a signifié pour la Russie postsoviétique la prise de pouvoir violente de l’ivrogne comprador Eltsine livrant le pays pour quinze ans au pillage étatsunien et mafieux. Bref, au contraire de ce que croit M. Ferreira, les impérialistes occidentaux ont pragmatiquement appris à l’époque que la radicalité “sans lignes rouges” pouvait payer géopolitiquement et comporter une énorme efficacité politique! En première instance, la contre-analyse ici proposée est certes glaçante, mais il faut savoir affronter la vérité même si elle comporte un côté ténébreux, et c’est ce que signifie l’adage que nous ont légué Romain Rolland et Gramsci : “pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté!”. L’optimisme véritable se trouve en effet, non pas en-deçà mais au-delà du pessimisme quand ce dernier est fondé sur des réalités. Si bien qu’il s’agit moins pour nous d’ignorer les mortels antagonismes globaux dont le capitalisme impérialiste actuel est porteur que de saisir ces derniers sous toutes leurs faces afin de dégager la possibilité, sous l’absence de “lignes rouges” 

proclamée par les hégémonistes-exterministes, d’un nouveau fil rougeporteur, contre eux, d’optimisme révolutionnaire objectivement fondé. Non pas celui qui consiste à sous-estimer illusoirement l’horreur du monde actuel, mais celui qui comprend, comme Marx l’avait du reste pressenti avant Lénine, Luxemburg ou Jaurès, que, sans le succès du socialisme, le capitalisme ne promet à l’humanité qu’un “monde plein d’effroi” ou qu’un “effroi sans fin” à tel point que l’avenir de l’humanité sera révolutionnaire ou bien ne sera pas. Or le monde actuel comporte, si on sait les mobiliser à temps et si l’on travaille d’arrache-pied  à reconstituer à tous les étages les avant-gardes et les organisations populaires détruites par le révisionnisme, un énorme potentiel fédérateur, que ce soit à l’échelle de chaque pays (le capitalisme devenu réactionnaire détruisant désormais les nations qu’il a jadis édifiées, y compris les USA actuels terriblement divisés, l’occasion s’offre au prolétariat de chaque pays de reconstituer sur ses bases un nouveau “faire-nation” progressiste) ou à l’échelle mondiale : à ce niveau, le prolétariat international doit apprendre à marche forcée, si possible avec à sa tête les forces marxistes-léninistes enfin reconstituées, à dessiner un socialisme-communisme de nouvelle génération. Ainsi parviendrait-il à se constituer en force dirigeante des divers fronts progressistes mondiaux qu’il convient d’articuler sans les confondre: fronts anti-anticapitaliste, anti-impérialiste, contre-hégémonique et anti-exterministe. Ce pour quoi le prolétariat devra désormais porter, non seulement un projet offensif de révolution sociale, mais la défense à tous niveaux de la vie, de la démocratie populaire la plus large, du progrès social, des souveraineté nationales, de la coopération internationale, de la réparation mondialement coordonnée de l’environnement. Sans oublier la défense de nouvelles Lumières partagées qu’abhorre désormais (comme le montre le trumpisme) une bourgeoisie monopoliste de plus en plus tournée vers la surexploitation de la Terre et du travailleur sur fond d’ “économie de guerre”, de dévoiement des technologies et de fascisation transcontinentale. On objectera que ce programme ne pourra lui aussi pleinement porter ses fruits qu’à moyen terme. Mais, ce n’est 

exact qu’en partie : non seulement des peuples résistent partout, par ex; en Afrique occidentale, non seulement l’impérialisme occidental n’a pas partie militairement et économiquement gagnée contre la Chine, la Corée populaire et la Russie, non seulement de grandes grèves prolétariennes, jamais prises en compte par les géopolitistes, secouent la planète depuis 2021 (Inde, Bangladesh, Angleterre, Québec, Corée du Sud, Mexique, USA et dernièrement Grèce, Italie et Belgique…), non seulement les travailleurs russes un moment abusés ont appris, expériences successivement faites du socialisme, puis du hideux “capitalisme réellement existant”, à regretter la vie pacifique qu’ils menaient sous l’égide du drapeau rouge, mais les communistes ont partout payé cher pour voir ce que donnent en pratique, derrière ses promesses de “modernité”, le révisionnisme, le gauchisme, l’arrimage électoral à la social-démocratie et la croyance à l’impossible “réorientation progressiste de l’Union européenne”. La véritable sagesse n’est donc pas de se désespérer (“pessimisme de l’intelligence, pessimisme de la volonté!”), ni de se rassurer à bon compte (“optimisme de l’intelligence, pessimisme de la volonté!”) en attendant, “assis devant sa maison, de voir passer sans rien faire le cadavre de l’impérialisme” (Guevara): il s’agit au contraire de seréorganiser concrètement en prenant partout la tête des luttes pour la paix mondiale, pour l’indépendance nationale et pour le progrès social sur la base d’une renaissance léniniste franchement assumée des avant-gardes populaires.  

(1) la nouvelle pensée politique se définissait par la “priorité des valeurs universelles de l’humanité sur les intérêts de classe du prolétariat”: le contraire direct du marxisme et du léninisme qui les lient indissolublement.