Pour qu’émerge, en France et ailleurs, un réseau d’études et de recherches « dés-exterministes »

Lens, le 11 avril 2023 – par Georges Gastaud1

Ce n’est pas l’escalade politico-militaire qu’impulsent, jour après jour, Washington et ses vassaux nippon, sud-coréen, anglo-saxons et euro-atlantistes, tant aux marches occidentales et méridionales (Géorgie) de la Russie qu’au cœur de la Péninsule coréenne et dans tout l’Indopacifique (de Taiwan aux Philippines en passant par la Mer de Chine), sans parler des blocus, des ingérences et des multiples et extravagantes « lois extraterritoriales » qui accablent les Etats « sanctionnés » par le despotique Oncle Sam (Iran, Syrie, mais aussi Cuba socialiste, Nicaragua sandiniste et Venezuela bolivarien) qui dissuadera l’auteur de ces lignes de renoncer au constat glacial qu’il pouvait déjà dresser au mitan des années 1980, en pleine « crise des euromissiles », quand il écrivait que « l’exterminisme est le stade suprême du capitalisme »1 : un capitalisme financiarisé, monopolistique et oligarchique parvenu dès longtemps, selon le mot clinique de Lénine, à la phase « pourrissante et agonisante » de l’impérialisme, celle de la « réaction sur toute la ligne » et du « trust organisé pour l’extermination, ce dernier mot du capitalisme moderne »2. A moins de s’accrocher désespérément à de prétendues « objections » qui ne visent qu’à s’auto-rassurer et auxquelles nous avons déjà répondu mille fois dans moult livres et articles, force est de constater que ce mode de production devenu délétère, dont Marx écrivait déjà dans Le Capital qu’il « ne déploie la richesse qu’en épuisant ses deux sources, la Terre et le travailleur »3 (au point qu’il conviendrait presque de le rebaptiser mode capitaliste de pan-destruction) ne se survit historiquement qu’en attentant de toutes les façons possibles aux conditions de survie et de développement de l’espèce humaine, si ce n’est aux conditions élémentaires, dites « naturelles », du maintien sur Terre des formes de vie un tant soit peu complexes : 

  • d’une part, le capitalisme-impérialisme-hégémonisme actuel piloté par Washington, relayé par l’Europe atlantique et par l’état-major français, planifie ouvertement un « conflit global de haute intensité » : c’est du reste ce qu’annonçaient déjà à son de trompe les dirigeants politiques et militaires de l’O.T.A.N.4 bien avant le 22 février 2022, date de l’entrée des armées russes en Ukraine. Mais, quelles que soient les promesses, prodiguées de tous côtés à la veille du « conflit global » en marche, de ne jamais faire usage de l’arme nucléaire en premier, quel observateur un peu sérieux des données géopolitiques ne comprend-il pas qu’une empoignade mondiale entre l’U.E.-O.T.A.N. d’une part, la Russie arrimée à la Chine d’autre part, aurait une probabilité proche de 1 de dégénérer à court terme en une guerre nucléaire d’entre-extermination globale pour peu que l’une des parties aux prises perdît brutalement pied sur le terrain de la guerre dite conventionnelle ? Ce serait alors une entretuerie sans précédent, si ce n’est l’anéantissement rapide du genre humain ou, pis encore peut-être, son dépérissement « en différé », on n’ose dire « à petit feu » pour peu qu’à l’issue de l’affrontement continental se muant aussitôt en troisième conflagration mondiale, quelques groupes humains eussent l’extrême malchance d’avoir survécu5 aux radiations de longue durée, aux catastrophes environnementales induites ainsi qu’à l’ « hiver nucléaire » qui, aux dires des scientifiques de l’organisation internationale Pugwash, ne manquerait pas de suivre l’utilisation, ne serait-ce que d’une faible part des réserves fuséo-nucléaires existant dans le monde ! 
  • mais il n’est pas qu’une manière de menacer globalement l’existence de l’humanité ou, à défaut, de consumer à petit feu l’humanité même de l’homme (ce que le généticien humaniste Albert Jacquard appelait son « humanitude ») ; pas qu’une façon non plus de détruire la bio-habitabilité déjà fort dégradée de notre planète de plus en plus bleu-sale : on peut aussi générer à plus bas bruit ces résultats navrants: il suffirait en effet de laisser faire, laisser passer encore quelques décennies la course mortifère au profit maximal, d’accepter l’avalanche des contre-réformes néolibérales aggravant toutes les inégalités, de se résigner aux prédations débridées des sociétés transnationales, de continuer à sanctuariser l’ « économie de marché ouverte sur le monde où la concurrence est libre et non faussée »6 des traités néolibéraux euro-atlantiques, pour tarir en profondeur les sources même de la vie en contaminant et en dévitalisant radicalement les quatre Eléments chers au vieil Empédocle et constitutifs des grands cycles naturels terrestres : gaspillage et surconsommation de l’Energie (le Feu cher à Héraclite d’Ephèse), pollution irréversible des fleuves, des lacs et du grand Océan (l’Eau chère à Thalès de Milet), empoisonnement de l’Air, stérilisation sans retour de la Terre et du sous-sol, et si tout cela ne suffisait toujours pas à satisfaire l’hubris d’Elon Musk et de ses pareils, méga-encombrement en cours de l’espace extraatmosphérique circumterrestre… Ne parlons même pas de ce que pourrait devenir l’A.D.N. d’Homo Sapiens s’il continuait d’être menacé en longue durée par le Tout-Marché invasif s’adjoignant les visées et les pratiques délirantes et néo-faustiennes du « transhumanisme »…

Si, donc, il est opportun de prendre en compte de nos jours les études de genre et autres recherches dé-coloniales visant à tracer et à traquer toutes les formes restées inaperçues des discriminations génériques et/ou postcoloniales7, il n’est pour le moins pas moins urgent qu’émergent, en France et/ou à l’international, un maximum d’études et de recherches dés-exterministes se coordonnant les unes aux autres sous la forme (rêvons un peu !) d’un Réseau International d’Etudes Désexterministes : son objectif serait alors d’alerter et d’ « armer » les peuples et les citoyens, philosophiquement, historiquement, économiquement, culturellement, scientifiquement, voire politiquement et syndicalement, en un mot, anthropologiquement, en s’adressant au premier chef à ce mouvement ouvrier et populaire national et international qui continue de former le noyau dur des résistances anticapitalistes et en dénonçant la vertigineuse menace globale que constitue, à l’encontre de l’humain et du vivant tout entiers, le pourrissant et de plus en plus fascisant capitalisme-impérialisme-hégémonisme-exterminisme « moderne ». Plus précisément dit, l’objectif d’un tel réseau national et international d’études, d’échanges, de recherches et d’alertes serait de « tracer » en tous domaines les avancées proliférantes de l’exterminisme. Pour cela, il faudrait déceler les interactions reliant les champs et les modes d’intervention de l’exterminisme capitaliste-impérialiste et de ses sous-produits, qu’ils soient aigus ou chronicisés, qu’ils opèrent d’une manière cynique et flamboyante ou qu’ils interviennent de manière plus souterraine et invisible. Evitant le piège d’un pseudo-scientisme objectiviste et dépolitisant, il faudrait aussi pointer, saluer, valoriser, et surtout, inciter à se fédérer, toutes les formes de résistance anti-exterministe (politiques, syndicales, associatives, « sociétales », écologistes, culturelles…) préexistant en acte ou en germes, sans pour autant cacher à leurs actrices et à leurs acteurs la finalité objectivement anticapitaliste et anti-impérialiste pas toujours immédiatement consciente de leur engagement souvent trop sectoriel ou unidimensionnel. Le débouché militant de telles recherches serait d’aider à l’édification d’un Front mondial anti-exterministe ; voire, de manière plus offensive encore, de contribuer à la mise en place d’une Alliance mondiale pour une culture dés-exterministe, laquelle serait inséparable selon nous, d’une dénonciation frontale des traités néolibéraux et supranationaux, de l’exigence positive d’une coopération égalitaire entre peuples redevenus souverains, de l’urgent et « grand rebond » de l’engagement en faveur de Lumières partagées, voire de la proposition innovante d’un socialisme-communisme de nouvelle génération affichant ses ambitions non seulement sociopolitiques mais, redisons-le, anthropologiques : c’est du reste ce qu’avaient commencé à faire de diverses façons Fidel Castro8, le grand révolutionnaire cubain ami du Che dont la flamboyante devise « Patria(s) o muerte, socialismo o morir, venceremos ! »9 résume éloquemment – et offensivement ! – les tâches cruciales de notre temps. Il va de soi que cette contre-offensive culturelle pour la vie et pour la raison s’inscrirait dans une processus plus global encore, et qui dépend surtout, bien plus que de n’importe quel réseau international d’étude et de recherche, de la difficile recomposition en cours du Mouvement communiste international, du (re-)développement ou de la franche renaissance de véritables partis communistes nationaux, du grand retour du Mouvement syndical international de classe, de la résurgence concomitante du Front anti-impérialiste mondial et, plus globalement, de l’urgent réémergence, face aux ultimes et menaçants soubresauts de la période contre-révolutionnaire actuelle, ce qu’Antonio Gramsci eût pu appeler une nouvelle hégémonie progressiste (nationale et/ou) mondiale.

Mais quelles pistes théorico-politiques, culturelles et « sociétales » ce réseau désexterministe devrait-il alors explorer méthodiquement tout en s’efforçant de répartir et de déléguer à ses membres, individus pionniers et/ou organisations, le travail exploratoire ? 

1 Dans son Essai de 1985 (qui n’a pas trouvé d’éditeur) Matérialisme et exterminisme. Repris dans un article éponyme paru dans la revue La Pensée (écrit en 1987 et trop tardivement paru en 1989) et explicité dansMondialisation capitaliste et projet communiste, un livre publié en 1997 au Temps des cerises, et réédité chez Delga en 2022 sous une forme actualisée. L’expression « stade » du capitalisme n’est pas totalement rigoureuse car l’exterminisme est moins une phase spéciale du capitalisme-impérialisme, sous lequel nous continuons hélas de vivre, que l’exacerbation asymptotique de l’une de ses dimensions présentes ab ovo. Il ne faut cependant pas minimiser la différence existant entre la « puissance » et l’ « acte » d’un prédicat donné (pour reprendre un célèbre distinguo aristotélicien). 

2 Lénine, mais on trouverait des formules analogues, à la même époque sous la plume de Jaurès…

3 Cf à ce sujet le Manifeste de la Commission Environnement et Agriculture du P.R.C.F. – www.initiative-communiste.fr

4 Y compris le général légionnaire Thierry Burckard, que Macron a nommé chef d’état-major des armées françaises en 2021…

5 Cf à ce sujet le stupéfiant récit relevant du « merveilleux scientifique » que fit, dès les années 1930, J.-H. Rosny Aîné (l’auteur de la Guerre du feu) en exploitant la thématique d’avenir (hélas !) d’une Terre livrée à l’insolation et quasi privée d’eau de surface. Malgré tous leurs efforts, les derniers groupes humains subsistants y cèdent pas à pas la place à des formes de vie totalement a-humaines. Cf La guerre des règnes, éditions Bragelonne, préface de Serge Lehmann. La nouvelle s’appelle La mort de la Terre, p. 687.

6 Formulation canonique des traités européens successifs. 

7 Sous réserve que ces études n’aient pas pour effet indirect, voire pour but inavoué, de minorer l’antagonisme infrastructurel fondamental persistant entre Capital et Travail ainsi que son corollaire moderne, l’antagonisme entre impérialismes et peuples dominés…

8 Cf notamment son grand, prophétique et sombre discours à la tribune de l’O.N.U. en tant que président du Mouvement des Non-Alignés en 1979 (de mémoire).

9 « La (les) patri(e)s ou la mort, le socialisme ou mourir, nous vaincrons ».

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