Par Georges Gastaud, auteur du Nouveau Défi léniniste
A propos de la séquence électorale quinquennale de 2022
UNE FRACTURE IDÉOLOGIQUE DE PLUS EN PLUS BÉANTE
Mon livre Mondialisation capitaliste et projet communiste paru en 1997 au Temps des cerises appelait à réduire la « fracture idéologique » apparue en décembre 1995 entre le mouvement populaire et ses états-majors traditionnels, notamment les directions du PCF et de la CGT. Alors que ces dernières, gagnées par l’euro-reformisme, s’orientaient vers un ralliement complet à la « construction européenne » et au mythe social-imperialiste de l’ »Europe sociale », et à travers lui, aux vieilles lunes de la social-démocratie, le mouvement populaire entrait en lutte contre l’ « économie de marché ouverte sur le monde où la concurrence est libre et non faussée » qui forme le cœur du Traité de Maastricht et de ses reformulations successives. Un tel décrochage du mouvement populaire d’avec ses ex-avant-gardes politico- syndicales a abouti à 2 vingt-cinq années de défaites du mouvement ouvrier, à la déconstruction galopante de la France du CNR, voire de la France tout court, à l’arrimage belliciste du pays à l’Europe atlantique, le tout sur fond de crise explosive de l’offre politique et de ce qui tente désespérément de la conjurer de manière réactionnaire: la fascisation de plus en plus structurante du paysage politique français sur fond de fracturation sociale, sociétale et territoriale du pays. Cette fracturation généralisée a encore été aggravée par le discrédit mérité de la « gauche plus rien » jospinienne, par le viol grossier du Non à la constitution européenne organisé par le Parti Maastrichtien Unique (UMP, PS), par l’implosion en plein vol du « hollandisme » post-socialiste, puis par l’escroquerie du « En même temps » macroniste et par la manière sauvage dont Macron, Castaner, Darmanin, Lallement et Cie ont réprimé le mouvement pré-insurrectionnel des Gilets jaunes.
FACE AU VERROUILLAGE INSTITUTIONNEL, LE PEUPLE RÉAGIT AVEC LES « MOYENS DU BORD »…
Comme en outre le dispositif institutionnel du quinquennat a été conçu pour garantir une majorité parlementaire en béton (croyait-on…) au président systématiquement pro-Maastricht artificiellement élu face au repoussoir Le Pen quelques semaines plus tôt, notre peuple privé d’avant-garde politique, de confédération syndicale franchement de classe et de moyens institutionnels clairs pour faire entendre sa voix, n’avait d’autre moyen pour percer l’armure de son ennemi de classe que de se « débrouiller avec les moyens du bord » pour tenter de percuter l’ensemble du dispositif qui tente d’éradiquer en douce la souveraineté nationale et populaire. Bien entendu, il n’y a rien de « moral » à avoir pour cela utilisé pour partie le vote RN avec tout ce qu’il porte objectivement de menaces sur les libertés et sur l’universalisme républicain. Mais à qui la faute, MM. les dirigeants de la Gauche établie, si les classes populaires à l’abandon, du fait même de vos propres dérives, en sont réduites à utiliser, ou plutôt à bricoler sommairement les moyens du bord pour tenter de faire valoir malgré vous ce qui leur tient le plus à cœur, fût-ce sous des formes impures, parcellaires, échelonnées dans le temps: la souveraineté de la nation, le maintien de la paix mondiale, le retour à la souveraineté du peuple, la relance du progrès social, la sauvegarde du « produire en France », des services publics et de la protection sociale ?
C’est ce que vient de faire notre peuple en élisant Macron tout en le privant de légitimité populaire (abstention massive de la classe ouvrière) et de majorité parlementaire au risque assumé de « foutre la merde » et de rendre le pays ingouvernable en le fracturant, faut-il dire en le contre-fracturant en quatre blocs approximativement égaux : celui des macronistes (la crème de plus en plus socialement isolée de l’euro-atlantisme nanti et bien-pensant), celui du le-penisme triomphant (chargé de représenter, fût ce de manière dévoyée l’attachement au patriotisme populaire), celui de la NUPES (chargé de porter l’aspiration au progrès social et à l’environnement au prix de positions dangereuses pour la paix, pour l’indépendance nationale et pour la souveraineté industrielle de la France) et celui de l’abstention de masse aggravant délibérément la fragilisation globale du verrouillage institutionnel du pays.
JEU A PLUSIEURS BANDES, DIVISION IMPLICITE DU TRAVAIL
Ajoutons que, au second tour des législatives, nombre d’électeurs populaires du RN ont voté NUPES, et réciproquement. Ce qui prouve que l’essentiel pour eux n’est objectivement pas le racisme des uns ni les tendances au repli communautaire des autres, mais bien l’aspiration sourde de la masse du peuple à un projet capable d’assurer à la fois l’indépendance nationale et le retour au progrès social, c’est à dire ce que le PRCF appelle l’alternative rouge et tricolore.
Avec à l’arrière-plan le projet plus ou moins conscient de rendre possible ce que les états-majors confédéraux voulaient enterrer et qu’ont tenté de reconstituer, eux aussi avec les moyens du bord, les Gilets jaunes qui, ravivant l’imaginaire de 1789, voire de 1793, projetaient d’aller « chercher chez lui » l’arrogant monarque présidentiel…
MÉRITES ET LIMITES DU BRICOLAGE POLITIQUE À L’AVEUGLE
Certes, il n’existe pas de calcul élaboré pour remettre en place de manière machiavélienne les conditions de l’insurrection populaire. Mais d’abord, il en va ainsi de toutes les situations révolutionnaires où, selon le mot de Lénine, « ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner comme avant » tandis que « ceux d’en bas ne veulent plus être gouvernés comme avant ».
Certes, la manière dont l’intelligence collective du peuple procède comme à tâtons est extrêmement dangereuse car non seulement les « bonnes gens » prennent le risque de donner les clés du camion à des fachos ou à de francs va-t-en-guerre comme les dirigeants « socialistes » ou Verts, voire décident de rendre le pays ingouvernable plutôt que de le laisser aux mains de sabordeurs patentés de la paix, de l’indépendance française et des acquis sociaux comme sont les macronistes, a un côté quelque peu suicidaire. Mais il en est toujours ainsi quand un peuple acculé et violé en est réduit à jouer son va-tout pour au moins tenter de faire quelque chose plutôt que de sombrer sans avoir jeté un cri. Or, même s’il ne le « sait » pas consciemment, le peuple français sent bien que son pays, sa République une et indivisible, ses acquis sociaux, sa production industrielle et agricole, sa langue même sacrifiée au tout-anglais des traités transatlantiques, jette ses derniers feus à l’heure du « saut fédéral européen » programmé par Scholz et Macron, que l’hôpital public, les retraites, l’Education nationale, la production métallurgique française, la SNCF, l’EDF, l’hôpital public, les liens sociaux les plus élémentaires, sont menacés à très court terme…
INSTINCT DE SURVIE ET PRODUCTION D’INTELLIGENCE COLLECTIVE
On objectera que « le peuple » n’est pas un sujet collectif conscient et que le blocage délibéré du gouvernail politique du pays n’a été programmé par personne. Certes, mais d’une part, ne négligeons pas que le blocage du système politique oblige désormais chacun, pour sortir du labyrinthe institutionnel organisé, soit à se retirer du « jeu », soit à réfléchir en tacticien et à programmer des « coups » à plusieurs bandes en jouant des deux élections successives, des deux fois deux tours électoraux et de l’offre politique disloquée résultant de la désertion politique globale du parti « communiste » français: lequel portait jadis à lui seul la contestation de l’Union européenne, le rejet militant de l’OTAN, la défense de l’indépendance française et le projet réellement radical du socialisme pour la France.
Et surtout, pensons au vivant non humain, y compris au monde végétal qui, bien avant l’émergence d’une conscience humaine socialement organisée (avec par ex. des partis représentant plus ou moins adéquatement une classe donnée), s’est toujours débrouillee, sous la contrainte d’airain de la sélection naturelle, pour produire de l’intelligence collective alors même que chacun des individus concernés par la décision, cellules d’un organisme ou insectes sociaux individuellement stupides mais collectivement ingénieux, est incapable de se représenter consciemment l’ensemble des enjeux vitaux.
N’oublions pas enfin que le peuple français est par excellence un peuple politique et qu’il a souvent inventé des mécanismes ingénieux pour imposer sa survie quand il est en danger de disparaître.
DE L’INSTINCT DE SURVIE A À LA CONSCIENCE POLITIQUE
Bien entendu, une intelligence collective aveugle à elle même ne peut être aussi efficace qu’une intelligence consciente se représentant consciemment les tenants et les aboutissants d’une situation. Sans cela l’évolution biologique n’aurait pas sélectionné à l’aveugle une espèce, la nôtre, qui a colonisé la planète pour le meilleur et pour le pire. Mais c’est là l’œuvre d’une avant-garde politique qui doit se réapproprier les deux drapeaux historiques du pays pour affronter à la fois l’UE, l’OTAN, le capitalisme, la fausse gauche belliciste, et les fascistes faussement patriotes. Or, c’est ce que ne veulent à aucun prix tant de « marxistes » qui refusent la symbolique patriotique et tant de « patriotes » qui, symétriquement et catastrophiquement, flirtent avec le RN.
MOUVEMENT POPULAIRE ET RECONSTRUCTION DE L’AVANT-GARDE : URGENCE ABSOLUE
Bref, le problème n’est pas le peuple, le problème, c’est la reconstruction de l’avant-garde. Le retard est colossal et terriblement dangereux. Raison de plus pour en appeler ici et maintenant à la reconstruction de l’Alternative rouge et tricolore. C’est à quoi se consacrent avec acharnement les militants franchement communistes, franchement anti-impérialistes et 100% républicains du PRCF. Et cela exige, non-seulement de dénoncer l’impasse suicidaire qu’est le Rassemblement pseudo national, mais de dire crûment leur fait aux dirigeants euro-soumis et OTAN-compatibles de la NUPES, ce « New PS » en gestation qui, soumis d’avance au saut fédéral européen et à l’union sacrée russophobe et guerrière, abandonnent aux faussaires du RN la dimension patriotique de la pré-insurrection populaire qui monte.
A nous tous de faire en sorte que le sursaut du peuple rencontre à temps une avant-garde politique, idéologique et sociale digne de ce nom: sans cela, le sursaut populaire salvateur que le Prcf appelle aussi la Grande explication » sociopolitique avec Macron, peut tout à fait finir soubresauts suicidaires.
Bref, militants communistes et progressistes, n’accusons pas « les gens », depuis trop longtemps déçus par la fausse gauche et par l’extrême gauche bobo, la balle est dans notre camp. Et, comme disait Marx, « l’histoire ne repasse pas les plats » !